Photos Daniel Darc @ Le Trianon 2012
Quatre mois après sa performance acoustique au Collège des Bernardins, Daniel Darc, icône de l’underground rock des années 80 grâce à sa formation Taxi Girl, revenait à Paris pour une célébration, électrique cette fois-ci, de son sixième album solo La Taille de mon âme, sorti en novembre dernier, et unanimement salué depuis. Cela se passait au Trianon, l’une des plus belles salles de la Capitale, pour ce qui allait rester comme une soirée unique, en forme de consécration, non seulement pour l’artiste, mais aussi pour l’homme et son parcours pour le moins chaotique, entre abîmes d’outre-tombe et salvatrices rédemptions.
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Si Jack Kerouac avait de son vivant rencontré Daniel Darc, nul doute qu’il lui aurait consacré au moins un des chapitres de ses Anges Vagabonds ou de ses Clochards Célestes. Car Daniel Darc est de la race, de plus en plus rare, de ces artistes baudelairiens qui n’hésitent pas à s’abandonner à l’obscurité, afin de mieux contempler la lumière, comme vue d’en bas.
Daniel Darc n’en finit plus de reconquérir le cœur de ses fidèles de la première heure
Mais aujourd’hui, il flotte dans la majestueuse salle des pas perdus du Trianon un indicible parfum de retour en grâce pour l’enfant terrible du rock français, dont la carrière a parfois pu ressembler à un véritable Chemin de Croix. Entre addictions persistantes et doutes mystiques récurrents, l’homme a su trouver dans la Foi Protestante l’équilibre qui lui a tant manqué pendant une traversée du désert de plus de dix années qui auraient pu l’engloutir corps et âme. Comme ressuscité d’entre les morts depuis la sortie quasi miraculeuse, en 2004, de l’album Crèvecoeur. Daniel Darc n’en finit plus de reconquérir le cœur de ses fidèles de la première heure, et convertit peu à peu celui des autres, forcés de constater que l’homme, à travers les épreuves qu’il s‘est parfois infligé, a su créer un univers qui, bien que très personnel, n’en fait pas moins souvent écho aux angoisses, propres au monde moderne, liées à la perte de sens.
Un public à nouveau réuni autour de cette figure emblématique d’une certaine idée de la création, authentique et sans complaisance, une critique pour une fois unanime, et un Daniel Darc enfin apaisé (mais pas assagi, rassurez-vous), tout concoure pour faire de cette soirée au Trianon un moment rare, à la fois dans la carrière de l’artiste et dans la mémoire des fans.
Daniel Darc vient de marquer son territoire, situé quelque part entre un caniveau, et une étoile
Mais pour l’instant, c’est à la jeune Lou Lesage que revient le périlleux privilège de lancer la soirée sur de bons rails. Un arrière-fond musical agressif juste ce qu’il faut, un look à devenir bientôt l’égérie de The Kooples, la jeune femme fait un peu figure d’Alison Mosshart en culotte courte, la bouteille et la sauvagerie outrancière en moins. La voix, encore un peu timide, peine parfois à tenir les promesses que ses attaques laissent un moment présager, mais l’ensemble du set reste cohérent et de très bonne facture, donnant envie de se pencher avec un peu plus d’attention sur le premier album de la belle, Under My Bed, sorti en septembre dernier.
20h30, l’heure des braves. Epaulé pour l’évènement par tous les musiciens ayant participé à l’enregistrement du dernier album La Taille de mon âme, le trio de base que Daniel Darc forme habituellement en live avec Rémy Bousseau (flûte, claviers) et Jean-François Assy (basse, violoncelle), pénètre enfin sur scène sous les acclamations d’un public persuadé d’assister ce soir à un set bien rock’n’roll. Il ne sera pas déçu.
Le set démarre très fort, grâce à un titre emblématique d’Amours Suprêmes, le précédent album (2008). C’est le sombre Serais-je Perdu ?, dans lequel tous les thèmes du répertoire de Daniel Darc (la mort, la déliquescence, le destin…) sont exposés en bloc, et presque exhibés, dans une confession crue livrée à froid. Le Trianon retient son souffle. Daniel Darc, en moins de quatre minutes, vient de marquer son territoire, situé quelque part entre un caniveau, et une étoile.
Darc vit son texte, il devient ce qu’il chante
Le décor étant planté, le rythme s’accélère maintenant avec un C’était Mieux Avant en forme de monologue intérieur, récité plus que chanté, dont le texte semble couler comme un torrent venimeux. Un long poème gainsbourien, période Melody Nelson, qui emporte tout sur son passage. Darc, le corps fatigué et fixé au sol par de lourdes bottes, titube, chancelle, déambule sur scène, accroché à son micro comme à une planche de salut, et, le regard qu’on imagine perdu derrière ses lunettes noires, semble convier le ciel à partager ses errances, sublimes et dérisoires.
Darc vit son texte, il devient ce qu’il chante. Le public ne peut qu’adhérer, et le prouve avec l’accueil qu’il réserve à C’est Moi Le Printemps, dont il reprendra le refrain en fin de titre. Un des morceaux les plus légers du nouvel album La Taille de mon âme, mais qui a le mérite d’apporter un peu de douceur dans l’univers souvent si désespéré de Daniel Darc.
Décidé de dérouler l’écheveau de ses inspirations, ou de ses amitiés, Darc se lance, en Anglais, dans une version magistrale de plus de 12 minutes de L.U.V, qu’il interprétait sur disque aux côtés du regretté Alain Bashung. Sur ce titre joué à pleine puissance, surtout en fin de morceau, le choix d’une formation élargie prend soudain tout son sens. Une orgie de lumières crues vient d’ailleurs souligner les flamboyants solos du guitariste, et Darc, sous les acclamations complices d’un public amusé, finit par lui confectionner une auréole grâce à son tambourin.
Les bras en croix et le regard irrévocablement tourné vers le ciel
Hormis un étonnant Ninjiski (1994), que Darc termine, dans un kaléidoscope de lumières bigarrées, en version totalement déstructurée de People Are Srange des Doors, la setlist de ce soir se concentre essentiellement sur les trois albums de la seconde partie de la carrière solo de Daniel Darc, Crèvecoeur (2004), Amours Suprêmes (2008) et bien sûr La Taille de mon âme (2012).
Crèvecoeur notamment, le disque de la renaissance pour Darc, est particulièrement mis en avant, avec un Et Quel Crime ?, dont le riff de guitare reconnaissable entre tous conduit le morceau vers un final échevelé à la Nick Cave, et un Inutile et Hors d’Usage beaucoup plus introspectif, dont la mélancolie ambiante est parfaitement mise en relief par le piano vagabond de Rémy Bousseau, et le violoncelle vaporeux de Jean-François Assy. Puis, les bras en croix et le regard irrévocablement tourné vers le ciel, Darc se fend d’un émouvant Je Me Souviens, Je Me Rappelle sur lequel sa voix, comme dissociée de la musique dont elle émerge, se plait à prendre parfois le large.
Mais le dernier album n’est pas oublié, avec ce « Nous sommes enfin libres ! » hurlé littéralement par Darc en fin d’un Sois Sanctifié très inspiré, dont la première partie résonnait pourtant, dans sa diction très particulière, comme un hommage à peine déguisé à la Nouvelle Vague. Notons également un Vers L’Infini très apprécié, et ce d’autant que ce soir, pour ce titre, Rémy Bousseau a cédé sa place aux claviers à Laurent Marimbert, le co-auteur du dernier album, sans doute le plus important de Daniel Darc.
Cherchez le Garçon
Le public du Trianon ne s’y trompe d’ailleurs pas, offrant au groupe qui revient sur scène, pour des rappels bien mérités, une ovation assourdissante, qui finit en véritable triomphe dès les premières notes de Cherchez le Garçon, LE titre que tout le monde attendait secrètement, et qui colle à la peau de Daniel Darc depuis les années 80 et Taxi Girl. Mais la version, jouée ce soir à feu et à sang, a sacrément été revisitée et modernisée pour l’occasion, et débouche sur un furieux clin d’œil aux Ramones, rappelant l’hérédité punk de Daniel Darc.
Il faut maintenant boucler la boucle, et Darc termine naturellement sa prestation par La Taille de mon âme, le titre éponyme à celui de son dernier album, que le public a d’ores et déjà adopté à l’unanimité (il le prouve ce soir). Tandis qu’en arrière-plan d’immenses lettres lumineuses forment le nom de Darc, les musiciens rejoignent Daniel au centre de la scène et, se tenant par les épaules, tentent de saluer le public à la façon des comédiens de théâtre. Mais Darc, facétieux, résiste. Il se met à genou, et pousse ses acolytes à faire de même. Le Trianon jubile, mieux, il exulte. Une consécration donc pour Daniel Darc, mais aussi un fabuleux cadeau pour tous ceux qui tenaient à être présents ce soir au Trianon, à ses côtés.
LA SET LIST COMPLÈTE :
SERAIS-JE PERDU ?
C’ETAIT MIEUX AVANT
LA PLUIE QUI TOMBE
C’EST MOI LE PRINTEMPS
L.U.V
J’IRAI AU PARADIS
ET QUEL CRIME ?
QUELQU’UN QUI N’A PAS BESOIN
ELEGIE 2#
INUTILE ET HORS D’USAGE
IL Y A DES MOMENTS
JE ME SOUVIENS, JE ME RAPPELLE
SEUL SOUS LA LUNE
LA SEULE FILLE SUR TERRE
NIJINSKY
MY BABY LEFT ME
CA NE SERT A RIEN
VERS L’INFINI
LA MAIN AU CŒUR
SOIS SANCTIFIE
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JAMAIS, JAMAIS
CHERCHEZ LE GARCON
LA TAILLE DE MON AME